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Au début, il y eut les insomnies. Trois ou quatre heures de sommeil seulement, pendant une semaine, un mois puis trois mois.

S’ajoutèrent les sueurs nocturnes qui empoisonnèrent ses nuits, m'obligeant à changer de tee-shirt après quelques heures. Pourtant, je ne ressentais pas de fatigue durant la journée. Simplement une envie de sieste après le déjeuner.

Puis l’accident, pendant une répétition avec mes amis musiciens. Alors que nous jouions depuis une heure et demie, je ne parvins plus à fixer mon attention sur la grille d’accords, ratant une mesure sur deux. Je croisai les regards interrogatifs, puis inquiets de mes acolytes. D’autant que j'avais mis cinq minutes pour dénouer les câbles de mes instruments en début de séance. A contrecœur, je mis fin à la répétition.

Durant cette même soirée, une crise d’angoisse me terrassa alors que je cherchais le sommeil.

Le lendemain matin, ma compagne m'accompagna aux urgences. Malgré la batterie d’examens, l’équipe soignante ne parvint pas à établir un diagnostic. Pourtant je baignais dans une grande confusion, ne trouvais pas mes mots, disais le contraire de ce que je souhaitais, sans m'en apercevoir. Le plus spectaculaire fut mon incapacité à filtrer mes pensées et donc à retenir des phrases incongrues. Après l’avoir constaté, je pris désormais le temps d’analyser chaque phrase qui se formait dans mon cerveau avant de lui laisser – ou non – franchir le cap du langage. Cette nouveau processus me prenait quelques secondes, suffisamment longues pour inquiéter mes interlocuteurs.

Au sein du foyer, je devins à la fois détaché, désabusé, irritable voire méchant. Sans non plus m'en rendre compte. En revanche, ie perçus après quelques jours le malaise, la détresse, la tristesse de mes proches. Conscient de cette douleur, je demandai à être interné une dizaine de jours dans un service d’urgence psychiatrique pour protéger les miens et commencer le long et difficile travail de remontée à la surface.

Alors que mon humeur commençait à se réguler, à coup de neuroleptiques, je commençai à être confronté aux récits de ma compagne, à ses écrits, à mes propres prises de notes ou courriers électroniques envoyés et fus surpris de l’incohérence de ces faits et gestes. De nature introverti, je parlais pourtant beaucoup et vite, ne laissant peu de place à mon interlocuteur et enchainant les digressions.

 

Alors que je pensais être revenu à un comportement normal, j'entendis par la bouche de ma compagne que je n’étais pas comme avant et que je ne le serais sans doute jamais. Ces mots me déprimèrent. Je me voyais condamné à n’être qu’une doublure imparfaite de moi-même, de celui que ma compagne était tombée amoureuse.

Je ne pouvais mesurer l’énorme volume immergé de l’iceberg de sa souffrance, qu’elle qualifiait elle-même de traumatisme.          

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